mardi 2 février 2016

Mémoire-miroir d'enfance / 7

© Jean-Luc de Laguarigue. Alain et Claudie 1954
Pour Évelyne…

Au verso de la photographie : Martinique, août 1 954. Je n’étais pas né, l’image me précédera et me suivra. Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils sont morts.
Elle a quitté sa place de conductrice pour se rapprocher de lui. Peut-être était-elle déjà assise en passager et il la légèrement poussée pour la prise de vues ; peu importe. Le pare-brise est divisé en deux et leur emplacement géométriquement bien choisi, crée un cadre à l’intérieur du cadre. Son bras, à lui, l’entoure et sa main semble tenir le volant, mouvement qui vient fermer la scène et forme le nid. L’essuie-glace à gauche est manquant et c’est mieux pour la composition ; sa présence aurait créé une ligne supplémentaire et inopportune. Son support en triangle vient marquer une nouvelle division répondant à celle, plus grande, dessinée par la tringle du pare-brise. Son regard, à elle, est illuminé par le léger reflet que lui renvoie le miroir du rétroviseur, il est profond et intense ; on ne voit que lui en prime abord. Elle porte une parure ; collier et boucles d’oreilles assorties et paraît ainsi apprêtée pour une sortie, ou une visite. Elle devait être séduite par son côté, à lui, un peu relâché, un peu voyou, un peu James Dean. Il regarde droit devant lui et sa cigarette vient en accentuer la direction. Ses yeux, à elle, sont un peu en coin comme si elle l’appelait avec insistance pour lui dire : « regarde comme je suis belle ».
Ils se sont aimés.
Le photographe a-t-il perçu le reflet sur la droite du pare-brise qui serait venu effacer les visages si les personnages n’avaient pas été placés autrement. Ce miroitement vient cependant combler un vide, une absence, et par opposition de lumière rend plus fort la présence des amants.
Le premier plan de la photographie est construit par le capot de l’Américaine qui prend les deux tiers de l’image. Les reflets sur ce noir profond sont superbes et par contraste fait ressurgir les amoureux. On croirait à une projection dans un drive-in, ou encore à une photographie du tournage d’un film. Hitchcock n’est pas loin.
La photographie a pourtant été prise dans la cour intérieure de l’habitation sous les grands manguiers. Je l’ai toujours connu dans les albums de famille. Le 8 avril 1 958, Alain devait mourir brûlé dans le feu d’un accident au Diamant ; courant vers la mer, déployant des ailes de feu avant de s’écrouler sur la plage. Ce drame dont les conséquences et les répercussions inexprimables ne cesseront de se développer est le hors-champ de l’image.
Photographie, aujourd’hui, symbole d’un linceul.